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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2023-01-19 | [Este texto, tienes que leerlo en francais] |
La deuxième partie
La compréhension du passage à l’acte est loin de faire l’unanimité. Pour les partisans du déterminisme, nos actions sont fixées par des causes antécédentes et seule l’ignorance de ces causes nous pousse à nous croire libres. Dans l’hypothèse du libre arbitre, la même série d’antécédents, qui a conduit à une action, aurait pu conduire à plusieurs actions différentes. Etant donné que les uns et les autres se placent après coup, qu’ils s’intéressent « au tout fait » plutôt qu’ « au se faisant », les uns comme les autres échouent à décrire l’expérience de la liberté, selon Bergson. Si l’on se place, par contre, dans le moment même où l’on est en train de prendre une décision, on constate ceci, précise-t-il : le processus de délibération qui aboutit à la décision est une maturation, dans le sens que l’examen de chacune des options à notre disposition entraîne une modification, une évolution lente en direction de la décision finale. On finit par trancher au moment où l’on sent que notre décision émane de nous, nous reflète. Le fait que les options contraires finissent par être de simples moments successifs au cours de l’opération par laquelle la volonté choisit rend caduque la question de l’égale possibilité de plusieurs actions. Bergson réussit brillamment à mettre hors jeu la théorie des défenseurs du libre arbitre. Le recours à l’analyse concrète, à l’exemple parlant, fait partie des points forts de sa méthode. Un tel exemple parvient à ruiner l’idée des déterministes selon laquelle la connaissance de tous les antécédents « sans exception aucune » rendrait la prévision de l’action future « infailleblement vraie ». L’exemple met en scène un personnage, appelé Pierre, qui a dû prendre une décision dans des circonstances critiques. Bergson se pose la question de savoir si un philosophe Paul, qui vivait à la même époque que Pierre ou bien à une autre époque, mais qui connaissait toutes les conditions dans lesquelles Pierre avait agi, pouvait prédire avec certitude le choix que Pierre avait fait. De proche en proche Paul est amené à se confondre avec Pierre de sorte que, arrivé au moment de l’action, «il ne pouvait plus être question [pour lui] de la prévoir, mais simplement d’agir. » (Bergson, 1889 : 84) Si l’on peut rejeter l’idée des déterministes selon laquelle il suffit de connaître parfaitement quelqu’un pour savoir que face à telles circonstances il fera tel choix, on ne peut nier qu’à des antécédents donnés un seul acte possible correspond. Le fait de ne pas avoir le pouvoir de nous déterminer indépendamment de toute contrainte extérieure n’invalide pas l’idée des défenseurs du libre arbitre selon laquelle nous sommes la cause de nos actes. La question est de savoir comment on peut concilier les deux idées qui restent valides, étant donné qu’elles appartiennent à des courants philosophiques que tout oppose. Pour cela, je vais recourir à une expérience de pensée. J’imagine un petit village reculé des Andes dont les habitants vivent depuis toujours de la chasse, de l’élevage de chèvres et de la culture de maïs. Depuis toujours, ils bâtissent des maisons en bois, tournées vers le soleil et utilisent la laine de chèvre comme isolant. En remerciement pour les dons de la terre, mais aussi pour exorciser leurs peurs face aux calamités naturelles, ils organisent des rituels. A cette occasion ils chantent, dansent et prient des heures d'affilée voire des jours. Vivant en commun, ces hommes ont des données communes. Sur leur base, ils peuvent prévoir les réactions de l'autre, ils peuvent collaborer avec l’autre ou bien l'éviter. Ils peuvent communiquer pour tout dire. Mais un chasseur, en raison de son projet de travail, a plus de données communes avec un autre chasseur qu’avec un éleveur de chèvres ou un cultivateur de maïs comme il a moins de données communes avec un autre chasseur qu’avec sa femme, avec qui il a un projet de vie. Concernant le ménage, la cuisine, les soins des enfants, une femme a plus de données communes avec une autre femme qu’avec son mari. Un tout jeune garçon a plus de données communes avec ses frères et sœurs qu’avec les autres jeunes du village mais, en termes de pratiques d’initiation, il a plus de données communes avec les garçons de son âge. La vie en commun est à l’origine des données communes qui, à leur tour, facilitent la vie en communauté. A tel point qu’on peut dire que plus le nombre de données communes est grand plus la communication est fiable et les projets, bâtis sur cette base, réussis. Mais il n’y a pas que le nombre qui compte, il y a aussi le ressenti qui les accompagne. Et le resssnti a le dernier mot lors de la prise de décisions. Supposons que le chasseur ait à choisir entre sauver sa femme ou son camarade de chasse, tous deux surpris sans défense lors de l’attaque d’une bête sauvage. Etant donné que le ressenti qui relie le chasseur à sa femme, avec qui il a des enfants et une maison, surdétermine le ressenti qui le relie à son camarade de chasse, il est plus que probable qu’il sauvera sa femme. Mais plus que probable ne veut pas dire certain. En fait, on ne sait pas ce que le chasseur fera puisqu’on ne connaît pas son vécu. Par contre, on sait ceci : les données des habitants de ce village comportent des éléments communs et des éléments différents. Les éléments communs s’expliquent par le fait qu’ils fréquentent les mêmes lieux à la même époque. Quant aux différences, elles surgissent du côté du nombre d’expériences d’un certain type, comme l’expérience de la chasse ou l’expérience en cuisine, par exemple, et du côté de l’ordre de succession des expériences qui composent une vie. Du côté du nombre: il est fort probable que les hommes ont plus d’expérience en tant que chasseurs et que les femmes sont plus expérimentées en cuisine. Du côté de l’ordre de succession : les habitants du village occupent au même moment des places différentes et occupent la même place à des moments différents. Cela fait que chaque habitant voit les mêmes choses sous un angle différent car, même si une chose peut ne pas changer beaucoup d’un moment à l’autre, chaque habitant la perçoit en rapport avec son expérience précédente, qui est différente de celle des autres habitants. Et son vécu sera par conséquent différent. Or, le vécu, en tant qu’émanation de la volonté, est celui qui tranche lors du passage à l’acte. C’est là un point dont les partisans du déterminisme ne font pas état et sur lequel les défenseurs du libre arbitre surenchérissent. Et ils n’ont pas tout à fait tort. Ils ont tort en revanche de réfuter la thèse déterministe selon laquelle une série d’antécédents donnés conduit à une seule action. La série peut certes conduire à plus d'une action à condition toutefois que l’on change l’ordre de ses antécédents. Mais une fois que ce sera fait, la série conduira à une seule action. On conclura sur ce point en disant que les partisans du déterminisme doivent prendre en compte l’ordre de succession des antécédents, ordre qui engendre un ressenti plutôt qu'un autre et fait que le passage à l’acte, vu de l’extérieur, soit difficilement prédictible. A cet égard, les contretemps dans l’histoire de Roméo et Juliette, contretemps qui ont conduit à la mort tragique des deux jeunes gens, sont à même de montrer comment l'ordre de succession des données peut sceller des destins. Les défenseurs du libre arbitre, d’autre part, doivent prendre au sérieux les antécédents eux-mêmes, car, même si le moi est libre, il n’est pas libre d’ignorer ses propres déterminations. Lorsqu’on s’est cassé la jambe, le choix de faire une chose plutôt qu'une autre ne peut faire abstraction de la fracture. Et j’enchaîne avec cette connue et débattue réflexion de Laplace : « Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. » La question pour moi est de savoir pourquoi « l’intelligence » de Laplace peut tout prévoir et ne peut rien prévoir avec certitude. Deux scénarios se présentent. Dans le premier, « l’intelligence » fait partie de l’univers qu’elle soumet à son analyse. Dans ce cas, l’univers, en tant qu’objet de son observation, contient un point obscur, le point d’où elle l’observe. Dans le deuxième scénario, « l’intelligence » surplombe l’univers, auquel cas « les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome » lui sont accessibles. Mais pour elle, toutes ces manifestations sont autant de données, qui se situent dans la continuité de son expérience. Or, en termes de connaissances, cela veut dire que seuls les éléments qu’elle a en commun avec ces manifestations lui serviront de base de prédiction. Les éléments différents resteront obscurs Dans le premier scénario, « l’intelligence » n’a pas accès à tout, dans le deuxième, elle ne peut déterminer tout ce à quoi elle a accès. Cette indétermination, qui n’est pas une limite de la connaissance, mais une limite faisant partie de « l’ameublement ultime du monde », (selon une expression de Bernard Russel) garantit notre liberté d’action et la liberté de mouvement de ce qui existe en général. Un des mérites de Bergson est d’avoir défini la liberté comme étant « le rapport du moi concret à l’acte qu’il accomplit » (Bergson, 1889: 96) et, en même temps, de n’avoir pas lésiné sur la continuité du moi. Seulement dès qu’il se met à parler de degrés de liberté, il délaisse la problématique du passage à l’acte, et donc de la liberté, pour mettre l’accent sur « une certaine nuance ou qualité » de l’acte : « C’est de l’âme entière […] que la décision libre émane ; et l’acte sera d’autant plus libre que la série dynamique à laquelle il se rattache tendra davantage à s’identifier avec le moi fondamental. » (Bergson, 1889 : 75) En vérité, nos actes, efficace ou inefficaces, brillants ou anodins, lâches ou héroïques, émanent de nous, nous montrent tels que nous sommes au moment où nous les commettons ; ce sont des libres. Le phénomène de la double présence, défini dans la première partie de cet article comme étant le fait de ne pas pouvoir être présent dans le temps sans être simultanément présent dans l’espace ou de ne pas pouvoir être présent soi-même sans être en même temps présent pour un autre, démontre que le principe d’indétermination de Heisenberg ne concerne pas que le monde quantique, qu’il est simplement inhérent au monde. Bibliographie BERGSON, Henri, 1889, Essai sur les données immédiates de la conscience, bibliotheque uqac uquebec ca BERGSON, Henri, 1969, La Pensée et le Mouvant, Essais et conférences, Paris, Les Presses universitaires de France. |
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